Un appel à la désobéissance civile chez les professionnels de l’action médico-sociale ?

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La toute nouvelle Association pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (A(p)PAS) crée fin mai et[1]présidée par Marcel Nuss propose de mettre en place un site de rencontres dédié aux personnes handicapées et aux assistants sexuels baptisé « A(p)PAS de loup « . Cette annonce  constitue-t-elle une étape décisive pour la légalisation de l’accompagnement sexuel en France? A l’instar du « manifeste des 343 »[2], appel pour la liberté des femmes de pouvoir avorter et qui a largement contribué à la dépénalisation de  l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’A(p)PAS n’attend elle pas une réaction des pouvoirs publics pour enfin obtenir un cadre à l’accompagnement sexuel en France ?

 Si l’appellation du site suggère une avancée furtive,  l’initiative pourrait bien constituer un pas de géant vers la définition d’un cadre permettant l’organisation de l’accompagnement sexuel: en se positionnant comme organisatrice de rencontres avec un accompagnant sexuel l’A(p)PAS se désigne comme un potentiel proxénète  dans le cas, fort probable, où elle mettra en relation des personnes handicapées avec des accompagnants sexuel qui tarifient leurs prestations.

En l’état actuel des choses, la politique française en matière de prostitution est très éloignée des conceptions qui prévalent  en  Allemagne, aux pays bas ou en Suisse qui ont permis l’instauration de services d’accompagnements sexuels. Ces pays qui ont une approche  réglementariste considèrent la prostitution comme une activité professionnelle normale qu’il suffit de réglementer et de réguler, alors que la loi française punit le proxénète,  qui organise l’activité de prostitution et considère que la prostitution en tant que tel n’est pas un délit.[3]

Même si l’A(p)PAS se défend  d’une possible incrimination de son activité en argumentant que « l’association assurera un rôle de filtrage mais ne mettra pas les internautes en lien pour éviter l’accusation de proxénétisme. »[4] , il parait très probable que le ministère public ait à apprécier la légalité de son activité.

 Si beaucoup d’espoirs se sont envolés avec la parution de l’avis du Comité national consultatif d’éthique (CCNE)  en mars 2013[5]  qui  n’envisageait pas d’aménagement de la législation prohibant le proxénétisme, l’A(p)PAS relance le débat en s’appuyant sur une des seules parties de l’avis qui loin de proposer une issue à l’instauration d’un cadre légal à l’accompagnement sexuel, laissait au moins entrevoir une brèche en admettant que si l’infraction de proxénétisme était constituée, elle ne sera néanmoins pas poursuivie. En effet, « en vertu du principe d’opportunité des poursuites, un procureur de la République peut estimer que les circonstances ne nécessitent pas de poursuites pénales, même si l’infraction pénale est  avérée. » Le Comité national consultatif d’éthique (CCNE) prenait donc acte de la position du ministère public français qui considère à l’heure actuelle, que l’atteinte à l’ordre public n’est finalement pas suffisante pour justifier une poursuite.

 L’A(p)PAS  tente d’ organiser  l’accompagnement sexuel en misant sur l’absence de poursuites, faisant fi des arguments du CCNE pour rejeter toute tentative en vue de la mise en place d’un  cadre  à l’accompagnement sexuel.

Le CCNE refusait en effet de s’orienter vers la définition d’un fait justificatif exonérant les personnes « entremetteuses » du délit de proxénétisme. Ce dernier rappelait, que dans le code pénal, les infractions relatives au proxénétisme figuraient dans une section d’un chapitre intitulé «Les atteintes à la dignité de la personne humaine», et qu’il ne pouvait par conséquent pas y avoir d’exception autorisant une atteinte à la dignité. Le comité argumentait « Si une chose est interdite pour tout le monde, pour des raisons éthiques, il  semble difficile d’envisager qu’elle soit autorisée dans le cadre d’initiatives individuelles et seulement au profit de certaines personnes. »

Outre le fait qu’il n’envisageait pas d’exception au délit de proxénétisme, le CCNE  réfutait un quelconque droit à compensation issu de la loi du la loi du 11 février 2005 qui ouvrirait aux personnes handicapées un droit à une assistance à la vie sexuelle argumentant quev « toute liberté ne correspond pas un devoir à assumer par la collectivité. Force est de constater que de nombreuses personnes, hors tout handicap, ont des difficultés dans leur vie affective et sexuelle et que cela n’ouvre aucun «devoir» de la part de la société vis-à-vis d’elles. »

Notons que ce point de vue est soutenu par  de nombreux juristes qui considèrent qu’il n’existe pas de « droit à la sexualité »,  mais qu’il est plus juste de parler « d’un droit à développer une sexualité ». La sexualité composante de la vie privée, serait une liberté, pas un droit au sens technique. [6]Ainsi le droit à développer une sexualité ne  devrait pas être confondu avec le droit à l’autonomie qui fait l’objet de compensation en vertu d’un devoir de solidarité nationale envers des personnes en situation de handicap.

 Une fois dressé ce tableau, il sera intéressant d’interroger les professionnels du secteur médico-social qui accompagnent des personnes lourdement handicapées afin de savoir si ils relaieront l’information à propos de  l’existence de ce site auprès des personnes qu’elles accompagnent ou de leurs proches. La question est importante car il s’agit de savoir si ces professionnels souhaitent s’engager pour faire évoluer le cadre légal des accompagnements qu’elles mènent. L’adhésion de professionnels à une initiative qui provient d’un collectif de personnes handicapées constituerait ainsi un véritable acte militant, un acte engageant ces professionnels, qui seraient alors susceptibles d’être poursuivis pour proxénétisme.

Si ce ralliement n’a pas lieu, alors ce sont seulement les personnes les plus autonomes dans le champ du handicap, qui utiliseront le site pour trouver un accompagnant sexuel et feront avancer les choses …à pas de loup.

 



[1] Actualités Sociales Hebdomadaires – N° 2812 du 31/05/2013

[2] paru le 5 avril 1971 dans le magazine Le Nouvel Observateur, et signé par 343 femmes affirmant s’être fait avorter, et s’exposant ainsi et à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement.

[3] En réalité, la prostituée est aussi pénalisée depuis la loi du 18 mars 2003, qui a créé le délit de racolage. Ce qui revient à interdire tout procédé facilitant la mise en relation avec une personne qui se prostitue.

[4] Blog faire face en date du 13 juin 2013 : http://www.faire-face.fr/archive/2013/06/13/creation-d-une-nouvelle-association-pour-la-promotion-de-l-a.html

[5] Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé AVIS N°118/ Vie affective et sexuelle des personnes handicapées Question de l’assistance sexuelle (p11)

[6] Bruno Py « l’assistance sexuelle aux personnes handicapées : Un service ? Un soin ? Un délit ? »

Revue droit et santé n 40 mars 2011 p 105

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